2018.09.28 Introduction de Nathalie Lauriac, Frédéric Josselin

De Wiki 3DD - Espace de concertation

La question de départ

Qu'est-ce qu'un "profane" ? Si l'on en croit le dictionnaire, le profane est celui qui est étranger à une religion, c'est aussi celui qui n'est pas initié à un art, à une science, à une technique, à un mode de vie. Comme synonyme, on trouve "béotien", "ignorant". En fait, on est toujours le profane de quelqu'un, de quelque chose ! Mais de quels profanes parlons-nous vraiment, qui est réellement profane ? que veut-on faire ensemble et comment faciliter ce travail en commun ?

Quel est le contexte dans lequel se pose cette question ?

  • Un territoire; un territoire de vie, de travail, un territoire agricole – le canton, inscrit dans une région – l'agglo, dont la population est en croissance forte. C'est aussi un territoire du vivant – montagnes, lac, rivières et leurs non moins multiples habitants. C'est ce territoire-là qui est partagé, par l'ensemble de ces acteurs, humains et non humains, chacun et tous en situation d'interdépendances multiples.
  • Un enjeu de politique publique - développer et mettre en œuvre un projet respectant l'équilibre entre développement urbain et gestion durable du territoire,
    • Il s’agit d’offrir une réponse aux besoins en logements, activités, équipements, services, loisirs et espaces publics,
    • tout en préservant et valorisant patrimoine bâti, paysager et naturel, terres cultivables et qualité de vie."
  • Si on resserre la focale sur l'urbain, la LGZD a introduit en 2015 une obligation de concertation avec les propriétaires, les habitants, les riverains, les associations: l'avis de ceux qui pourraient être désignés comme profanes au regard des professionnels du projet urbain doit être entendu et pris en compte dans la conception du projet et sa traduction légale (le PLQ).
  • Une idée de volume : une cinquantaine de projets qui se déploient sur une grande partie du territoire cantonal

Si l'on reste pour l'instant à l'échelle du projet, où en est-on aujourd'hui ?

Les professionnels (collaborateurs de l'OU et mandataires) ont expérimenté, appris depuis 3 ans à concevoir des dispositifs de concertation, permettant à ces acteurs d'exprimer un point de vue, d'être entendu et pris en compte dans le processus complexe de l'élaboration d'un projet urbain. Un 1er pas a ainsi été fait, exigeant, parfois déstabilisant : les "savoirs profanes" sont entrés dans le projet urbain. Si on prend des lunettes critiques : le professionnel continue à tenir le crayon, même si son trait se nourrit largement d'une diversité de savoirs.

Maintenant, peut-on aller plus loin, peut –on aller jusqu'à une conception collective des projets urbains ? Pourrait-on progressivement évoluer vers un projet urbain qui soit élaboré en commun, professionnels, usagers et citoyens; dans un processus de dialogue, de confrontation des points de vue, fondés sur des collaborations et des partenariats. L'ensemble de ces acteurs peuvent-ils et à quelles conditions considérer la ville et à partir de là, le projet urbain comme un commun à travailler ensemble ? Peut-on ainsi répondre à l'urgence de construire du logement dans les conditions rappelées au début et sans gripper voire bloquer le territoire ?

Si la pluralité des points de vue est reconnue comme nécessaire et l'expertise profane comme une expertise légitime, comment selon vous l'intégrer pleinement à la conception des projets urbains ?

Ensuite, on peut se demander plus précisément qui sont ces profanes dont l'avis est pris en compte dans l'élaboration du projet ? Et à quelle échelle ils se situent ? Les projets urbains se travaillent essentiellement sur des périmètres resserrés, le périmètre du projet. Les concertations se font la plupart du temps à cette échelle avec les personnes impactées par le futur projet. Dans cette intimité, bien sûr les intérêts particuliers sont exacerbés. Les acteurs géographiquement plus distants sont relativement absents de ces concertations. Ce sont les autorités et les professionnels de l'urbanisme qui s'efforcent de convoquer les grandes échelles, qui invitent la ville et le grand territoire dans l'élaboration du projet. Or ce sont ces multiples "petits" périmètres qui finissent par faire la ville.

Comment associer la ville et le grand territoire, avec la diversité de leurs acteurs, dans les concertations ? Comment mobiliser des acteurs dans leur appartenance plus globale ? L'enjeu serait ainsi de mieux travailler l'intérêt général de la ville, du territoire, et d'améliorer le dialogue avec les intérêts particuliers. Au-delà de l'échelle géographique à laquelle ils se situent, essayons de nous rappeler quelles sont les caractéristiques socio-démographiques de ceux qui viennent et qui prennent la parole dans ces concertations ? Pour venir à une réunion publique, participer à un atelier, il faut avoir le temps, on en a peu lorsqu'on est débordé par des situations matérielles difficiles ; il faut aussi avoir la conviction que l'on a un rôle à jouer, que notre parole peut être entendue, respectée, prise en compte. Une estime de soi et une confiance dans les institutions souvent difficiles pour les personnes qui vivent en situation de précarité ou de pauvreté. Comment faciliter la contribution de ceux qui sont souvent le plus éloignés de l'espace public – les pauvres et les personnes en situation précaires, mais aussi les étrangers, les jeunes, les femmes… ?

Les savoirs sur la ville, sur les institutions, les capacités à prendre la parole en public sont bien sûr inégalement distribués; et ces inégalités ne facilitent pas non plus le dialogue entre les citoyens eux-mêmes. Comment faciliter le dialogue entre des citoyens qui ne partagent pas les mêmes ressources et réduire les phénomènes d'exclusion du débat public, phénomène qui se joue aussi parmi les citoyens ?

Quelles sont les démarches à mettre en œuvre pour progressivement associer dans les concertations des citoyens porteurs des différentes échelons géographiques et représentant de la diversité sociale et culturelle de la population?

Favoriser le commun entre savoirs d'usage, savoirs technique et savoirs militants ; construire le commun entre la diversité des populations aux différentes échelles de la ville…On voit bien que ces questions nous renvoient à des enjeux qui dépassent les projets et interrogent la fabrique d'une culture urbaine commune, l'empowerment des citadins dans leur diversité, et les capacités de dialogue et de coopération entre tous. Trois enjeux interdépendants si on souhaite une ville partagée.

Les démarches en cours, celles portées par l'OU comme celles développées par d'autres acteurs sur le territoire genevois sont riches d'enseignements comme d'opportunité d'élaboration de ces savoirs et de ces capacités. Comment peut-on apprendre de ces démarches, mieux les capitaliser ? Comment expérimenter ensemble ? Partager les pratiques ainsi expérimentées ? Ils existent déjà des collaborations entre l'OU et les Hautes Ecoles, un lieu d'échanges et de mutualisation a été ouvert – le 3DD espace de concertation. Plus localement des espaces comme M13 sur Grosselin. Quels partenariats renforcer pour s'assurer que ces questions du devenir de la ville dans ces transitions, soient réellement portées par tous ? Comment coopérer avec des démarches d'empowerment dont faire ville ensemble peut être un des enjeux ?

Comment développer les savoir sur la ville, les partager, développer une culture partagée, qui servira de base aux différentes démarches de projet ? Quelles démarches d'empowerment soutenir et renforcer ?